AFRIQUE/MAROC - "Il ne s'agit pas de comprendre un tremblement de terre, il s'agit de vivre" : la grande leçon des victimes du tremblement de terre

mardi, 12 septembre 2023

Rabat (Agence Fides) - "J'ai décidé d'écrire ces lignes pour vous raconter un peu ce qui s'est passé et ce qui se passe au Maroc dans les jours qui ont suivi le tremblement de terre. Je sais, cela semble un peu compliqué et en effet ça l'est ! C'est compliqué d'essayer de vous amener ici, dans cette terre profondément blessée par le tremblement de terre, en essayant de ne manquer de respect à personne : ni à ceux qui lisent ceci, ni à cette partie de ces gens qui, en 30 secondes après 23h11, le 8 septembre 2023, par une nuit d'été, ont tout perdu du peu qu'ils avaient". Le récit a été envoyé à l'Agence Fides par une source ecclésiastique locale qui a requis l'anonymat.
"Le tremblement de terre qui a frappé le Maroc est arrivé fort sans prévenir, la nuit. Les premiers bulletins d'information ont parlé d'une catastrophe et, à l'aide de vidéos et de photos, ont documenté ce qui était documentable. Je le dis avec une certaine colère. Nous avons des frères et des amis à Marrakech. Ils nous ont confirmé qu'il s'agissait d'une expérience forte, qu'ils avaient peur, qu'ils voyaient des nuages de poussière, que les gens criaient", poursuit le témoin. Une ville touristique frappée par un tremblement de terre fait immédiatement la une des journaux, mais ce n'est pas représentatif de ce qui s'est réellement passé. Ils ont dormi à l'extérieur des maisons, à même le sol, dans des endroits ouverts pour éviter le pire ; en Italie, dans ce genre de situation, on dort dans une voiture, mais au Maroc, avoir une voiture est un luxe pour peu de gens. Un vieux minaret de Jemaa el-Fnaa (la place la plus grande et la plus importante de la ville) s'est effondré et quelques maisons du Mellah (la partie la plus ancienne et la plus pauvre de la médina de Marrakech, où vivent les plus démunis) se sont également effondrées. Les gens étaient effrayés et difficiles à contenir : ils se sont déversés dans les rues. Les médinas ressemblent un peu aux calli de Venise : les maisons sont empilées les unes à côté des autres, divisées par des ruelles étroites, parfois sans visibilité. S'échapper dans la rue, c'est se faire enterrer. Dans une ville d'un peu moins d'un million d'habitants, il y a eu 15 victimes".
Les images que les journaux ont titrées "enterrés vivants" concernaient un quartier de la médina. On y voit le désespoir de ceux qui ont tout perdu. Les autres images témoignant de la grande peur ont été tournées dans les hôtels, et aucun d'entre eux n'a subi de dommages structurels. Mais Marrachech était le miroir des journalistes, la seule ville proche du séisme facilement accessible par avion, loin de mindounid, le centre de population le plus proche de l'épicentre dans la région d'Al-Haouz où, dans les villages, les maisons se sont littéralement écroulées. Les habitants sont pauvres, vivent de leur culture ou de leur élevage, les sources d'eau y sont sources de vie. C'est surtout là que le tremblement de terre a touché les plus pauvres et les plus faibles. Il est difficile de s'y rendre alors que les routes, déjà précaires, ont subi d'importants dégâts. Les maisons ont été construites en pisé, remplaçant les tentes typiques des bergers nomades. Elles sont recouvertes de tôle ou de terre. Tout s'est effondré. Ces maisons sont assez fragiles pour s'être effondrées en un instant, mais assez lourdes pour tuer".
Ce sont ces villages précaires, perchés dans les montagnes de l'Atlas, habités par des personnes pauvres qui survivent grâce à une économie faible, qui ont payé le prix. "Ici, on ne peut pas compter les dégâts. Ces gens nous enseignent. Personne ne se lamente d'avoir perdu sa maison, mais plutôt ses proches... sans distinction : mères, pères, fils, filles, maris, femmes, cousins, tantes et oncles, grands-pères et grands-mères. Ces personnes lèvent les yeux, regardent vers le haut et disent avec une foi ferme : Dieu est le plus grand, grâce de Dieu... avec la douleur de ceux qui ont tout perdu, mais avec un cœur reconnaissant à Dieu d'être vivant et avec la certitude que ses projets incompréhensibles sont trop grands pour nous... et ici, la seule réponse appropriée est de se taire".
"Il n'y a qu'une chose à faire, et ces gens nous l'enseignent, prendre soin de ses morts : les enterrer dignement et rapidement, c'est ce que l'Islam nous enseigne. Il n'y a pas de temps à perdre : donnez à leurs proches un enterrement correct et, compte tenu des températures, évitez les épidémies. Ensuite, retrousser ses manches et essayer de sauver ce que l'on peut.... Et enfin, repartir. Le tremblement de terre a non seulement isolé ces villages, mais il a également modifié le tracé des aquifères, créant de nouvelles sources et en tarissant d'autres qui leur donnaient vie. Aujourd'hui, ces villages manquent d'électricité, d'eau, de nourriture, de médicaments pour tous ceux qui sont restés en vie mais qui ont été blessés... ou pour ceux qui étaient déjà démunis auparavant..."
Au Maroc, la "famille" est tout : lorsque les enfants grandissent, ce sont eux qui s'occupent de leurs parents, en les soignant et en les aidant au mieux... Dans cette structure sociale, il n'y a pas de maisons de retraite, ni de structures spécialisées : la famille fait tout. Les maisons insha allah (si Dieu le veut) seront reconstruites, pour ces personnes, le camping n'est pas un problème. L'électricité n'est pas une nécessité absolue. Actuellement, la véritable urgence, la course contre la montre, c'est l'approvisionnement en eau, en nourriture et en médicaments. C'est indispensable. Le royaume a immédiatement activé l'armée pour pouvoir y pourvoir, mais les nécessiteux sont si nombreux... On compte les morts et les blessés, mais on ne dit pas le nombre de personnes dans le besoin. Nous savons que le roi a ouvert la possibilité d'une aide en provenance d'Espagne, du Royaume-Uni, du Qatar et des Émirats arabes unis, mais pour l'instant nous attendons une décision à ce sujet : le feu vert du royaume pour une aide humanitaire en provenance d'autres pays européens. Le nombre de victimes va probablement augmenter : les villes disposent également d'un système d'enregistrement efficace et valide, mais dans certaines régions, tout est ralenti par des difficultés territoriales.
"Ce qui m'impressionne, c'est la réaction des gens à cet événement. Ici, où nous avons ressenti le tremblement de terre, mais où il n'a pas causé de dégâts, un silence respectueux, presque méditatif, s'est installé tant dans les rues piétonnes que sur les routes très fréquentées. La vie continue, mais elle est désormais plus à l'écoute. Un silence interrompu cinq fois par jour par la voix du muezzin appelant à la prière, scandant depuis les minarets : Allahou akbar. Les gens nous demandent comment vont nos frères du sud, s'il y a eu des morts, et continuent à répondre : Allahou akbar (Dieu est grand), al-ḥamdu li-llāh (Grâce à Dieu). Ici, en Italie, où les tremblements de terre ne sont pas si rares, les gens ont toujours réagi avec dignité et courage aux calamités naturelles qui les ont frappés, mais sur cette terre, nue et pauvre, comme dirait saint François, j'ai été témoin de réactions si touchantes de la part de mes frères et sœurs marocains, qui témoignent d'une foi qui atteint les profondeurs de la vie. Un homme interviewé aux informations, tenant le petit corps sans vie de son fils, qui dit avoir aussi perdu sa femme et un autre enfant, lève les yeux, étend ses bras alourdis par son petit fils et dit : "Allahou akbar bismillāh, Dieu est grand, loué soit Dieu, il prendra soin de mon fils et de ma femme, et qu'il me soutienne, moi et mes enfants"... Frères et sœurs qui ont confiance en Dieu, Celui qui est Grand, Compatissant, Miséricordieux, Celui qui peut tout faire. Ce n'est pas l'opium des pauvres, c'est la paix du cœur des pauvres, des derniers, qui remettent constamment leur vie entre les mains et dans la volonté de Dieu. Qu'est-ce que nous avons à apprendre..."
"Se laisser porter, accompagner, soutenir, embrasser par les bras de Dieu... se laisser atteindre, regarder, aimer par son regard... s'abandonner en Dieu et pouvoir vivre pour Lui, avec Lui et en Lui. Pour nous, dans le premier monde, c'est le but d'un sérieux cheminement de foi, pour ces frères et sœurs musulmans, c'est le point de départ irréfutable, établi, qui n'a pas besoin d'être remis en question par la raison. Pour ces frères et sœurs, il est normal que tout vienne de Lui... et il n'y a pas de compréhension d'un tremblement de terre, il y a une vie. Maintenant, ce dont ces frères et sœurs ont besoin, c'est d'eau, de pain, de médicaments... et de notre proximité en tant que frères et sœurs qui, comme eux, cherchent Dieu."
(AP) (Agence Fides 12/9/2023)


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