VATICAN - « LES PIERRES, LES SONS, LES COULEURS DE LA MAISON DE DIEU » par S. Exc Mgr Mauro Piacenza - « La vocation de l’Artiste » (I)

mardi, 7 novembre 2006

Rome (Agence Fides) - Dans la Lettre adressée aux Artistes à l’occasion du Jubilé de l’an 2000, le Pape Jean Paul II a fait une comparaison audacieuse entre l’activité créatrice de Dieu et celle des artistes. Après avoir cité en tête la phrase de Genèse 1, 31 : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : c’était très bon », il compare le « pathos » avec lequel Dieu a regardé la création à peine sortie de ses mains, au sentiment avec lequel « les artistes de tous les temps, fascinés et pleins d'admiration devant le pouvoir mystérieux des sons et des paroles, des couleurs et des formes » ont contemplé l'œuvre de leur inspiration, « y percevant comme l'écho du mystère de la création, auquel Dieu, seul créateur de toutes choses, a voulu en quelque sorte vous associer… La première page de la Bible nous présente Dieu quasiment comme le modèle exemplaire de toute personne qui crée une œuvre : dans l'homme artisan se reflète son image de Créateur… ». (Lettre du Pape aux Artistes, 4 avril 1991, 1).
Ce sont des paroles très fortes, mais ce n’est pas pour cela qu’elles doivent effrayer ou s’enorgueillir ceux qui sentent qu’elles s’adressent à eux ; elles doivent plutôt être le fondement d’une spiritualité solide de l’artiste, appelé lui aussi à une vie de sanctification par les dons particuliers qui lui ont été accordés. En premier lieu, il faut souligner que la distinction entre l’artisan et le Créateur n’est pas seulement formelle, mais substantielle. Dieu seul est Créateur, parce que Lui seul qui donne l’existence à tout ce qui n’existait pas auparavant ; celui en revanche qui utilise quelque chose qui existe déjà est un artisan. Aussi, quand on déclare qu’un artiste « crée » quelque chose, on le dit, bien sûr, par analogie.
En deuxième lieu, le fondement de la capacité de l’homme d’être artisan, ou, si nous voulons, « créateur » de quelque chose, est la condition d’avoir été créé par Dieu « à son image », avec pour tâche qui en découle de dominer la terre (cf Gen 1, 27-28). Si l’on peut dire cela de toute l’activité humaine, cela est particulièrement vrai dans la création artistique, dans laquelle l’homme se révèle de manière excellente image de Dieu. Mais le Saint-Père ajoute que l’artiste « réalise cette tâche avant tout en modelant la merveilleuse «matière» de son humanité » et mais aussi par son art propre. Ainsi, une vocation spirituelle précède et soutient la vocation artistique, celle d’être artisans de sa propre vie, en en faisant en un certain sens « une œuvre d'art, un chef-d'œuvre » (Lettre, 1-2).
La vocation spirituelle et morale doit donc être distincte de la vocation artistique, qui consiste à agir selon les exigences et les lois spécifiques de l’art, mais les deux vocations sont liées également, parce qu’une œuvre sera nécessairement le reflet, le miroir de l’intériorité de l’artiste. Si nous prenons comme exemple saint François d’Assise, il fut avant tout un homme en paix avec Dieu ; c’est de cette condition spirituelle que lui est venue son amitié pour les hommes, son amour pour les créatures du Seigneur, et son inspiration poétique qui passa dans la lyrique la plus ancienne de la littérature italienne.
Il est bien connu que la version grecque de la Bible, appelée Septante, pour indiquer que Dieu considère tout ce qu’il a créé comme « chose bonne », utilise la parole « kalon », c’est-à-dire précisément « beau » (Gen 1, 10 ss) ; en outre, le « Bon Pasteur » (cf Jean 10,11) est littéralement le « Beau Pasteur, kalos », synthèse d’intégrité et de beauté, ainsi que les « bonnes œuvres, nécessaires pour être disciples du Christ (cf Math 5, 14-16), sont littéralement aussi de « belles oeuvres, kala », parce qu’elles manifestent la bonté intérieure de celui qui les accomplit et produisent la joie à ceux qui en sont les bénéficiaires. Cela n’est pas sans conséquences pour l’art, étant donné qu’il existe un rapport essentiel entre le beau et le bon, que la philosophie grecque avait déjà relevée, en ce sens que « La beauté est en un certain sens l'expression visible du bien, de même que le bien est la condition métaphysique du beau » Et ainsi, « En un sens très juste, on peut dire que la beauté est la vocation à laquelle le Créateur l'a appelé par le don du ‘talent artistique’ » (Lettre aux Artistes, 3).
Pour atteindre ce but, l’artiste doit être conscient que son œuvre contribue à une compréhension plus profonde de la réalité, parce qu’il est doué d’une sensibilité supérieure à celle des autres hommes. Dans le même temps, il doit savoir aussi que son art n’est pas neutre du point de vue de la communication des valeurs morales. Si l’art est justement une expression de l’inspiration artistique, qui agit comme une force intérieure à laquelle l’artiste lui-même ne peut se soustraire, sous peine de trahir son inspiration, ils est vrai également qu’elle a clairement son rôle social et éducatif, qui comporte donc une responsabilité vis-à-vis des bénéficiaires, et en particulier des jeunes. Et l’on ne parle pas ici tellement d’obscénité ou de blasphème, qu’il faut certes proscrire, mais bien plutôt du nihilisme que l’on note parfois dans certaines œuvres, plastiques ou littéraires ou musicales, désespérées et désespérantes.
+ Mauro Piacenza, Président de la Commission Pontificale pour les Biens Culturels de l’Eglise, Président de la Commission Pontificale d’Archéologie Sacrée.
(Agence Fides, 7 novembre 2006)


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