AFRIQUE / CONGO (REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE) - Les Evêques du Congo demandent des éclaircissements sur le renvoi des élections du 30 juin, dans un Message pour le 45 anniversaire de l’Indépendance nationale

jeudi, 23 juin 2005

Kinshasa (Agence Fides) - Les Evêques du Congo, ont publié un Message intitulé « Pourquoi avoir peur ? » à l’occasion de l’anniversaire de l’Indépendance nationale. Les Evêques parlent du, long processus de transition après la guerre de 1998-2003, qui devrait amener le Pays à la démocratie et à la stabilité politique. Malgré des pas en avant, le processus est encore long, mais il est possible. Les Evêques abordent aussi la question du renvoi des élections du 30 juin, qui a créé de nouvelles tensions dans le pays. Voici le texte du Communiqué des Evêques.

Préambule
1. Nous, Archevêques, Evêques et Administrateur diocésain, membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), réunis du 20 au 22 juin 2005 en Assemblée plénière extraordinaire, vous adressons ce message sur la situation actuelle caractérisée par l’angoisse de notre peuple pendant cette période cruciale de la Transition politique dans notre pays. Notre conscience de pasteurs et de citoyens nous presse à défendre la dignité de la personne humaine créée à l’image de Dieu [1]. En effet, nos compatriotes sont confrontés à l’incertitude du lendemain, à l’insécurité grandissante et à la misère intolérable [2]. Aussi, quarante-cinq ans après l’accession de notre pays à la souveraineté internationale, nous estimons que notre peuple ne mérite pas de continuer à porter ce lourd fardeau.

Pour une évaluation sans complaisance de la Transition

2. travers notre message du 14 février 2004, nous avions déjà dénoncé la lenteur et la volonté délibérée de prolonger la Transition, lors de la mise en oeuvre des institutions de la République [3]. Néanmoins, nous relevons quelques faits saillants qui ont marqué la vie politique pendant ces derniers mois. Il s’agit notamment de la promulgation de la Constitution de la Transition, la prestation de serment du Chef de l’Etat , la prestation de serment et l’installation des Vice-Présidents ; la mise en place du Gouvernement de Transition, du Parlement, des Commissions d’appui à la démocratie, des Gouverneurs et Vice-Gouverneurs des Provinces ; le lancement du processus d’intégration et de restructuration de l’armée et de la police, l’exécution de certains programmes sociaux et économiques avec l’appui des partenaires extérieurs, l’adoption par le Parlement de certaines lois, l’adoption du projet de Constitution de la 3e République ; l’accélération aujourd’hui, dans la précipitation, du processus électoral par la Commission Electorale Indépendante… Le chemin à parcourir reste encore long, mais ces quelques avancées démontrent qu’il est possible de conduire la RDC à la démocratie. Par contre, la loi d’amnistie qui aurait pu décrisper le climat sociopolitique et la déclaration solennelle de la fin de guerre entre les ex-belligérants tardent à venir.
3. ace aux enjeux actuels, le peuple a besoin d’être rassuré. Il exige une évaluation sans complaisance des institutions par rapport aux cinq objectifs assignés à la Transition [4]. Dans cette perspective, il importe de donner les vraies raisons de nos crises successives et interminables qui enferment le Congo, notre pays, dans un cercle vicieux. Il faudra également expliquer au peuple pourquoi les élections n’ont pas été organisées dans le premier délai constitutionnel (Art 196, §1). Il est utile que les responsabilités de la lenteur du processus soient établies et que les sanctions appropriées soient appliquées aux vrais responsables. Cette évaluation rigoureuse s’impose. Elle permettra de redonner confiance aux citoyens pendant la période de prolongation demandée et obtenue du Parlement par la Commission Electorale Indépendante. Elle pourrait donner une impulsion nouvelle à la Transition.
4. Pour nous, le « schéma 1+4 », que nous avons considéré dès le départ comme porteur de germes de conflictualité [5], tout comme la logique des composantes et entités, le manque de volonté politique, la soif du pouvoir pour le pouvoir, ainsi que le non-respect des textes légaux, paralysent la cohésion nationale. Le fonctionnement des institutions de la Transition s’en trouve affecté, car celles-ci sont devenues toutes des caisses de résonance des familles politiques et un tremplin de la campagne électorale. De notre point de vue, la crise de légitimité récurrente dans notre pays ne pourra être résolue que par l’instauration d’un Etat de droit et d’un nouvel ordre institutionnel issu des urnes.
5. Le processus d’intégration de l’armée et de la police nationale, quant à lui, se poursuit sans grandes avancées. Outre le manque de moyens logistiques, il fait face à des pesanteurs identitaires et partisanes. Le partage vertical et horizontal des responsabilités dans ce secteur reste encore un défi majeur. Les ex-belligérants continuent à entretenir un mystère sur les hommes anciennement placés sous leur commandement. Il semble que certains ont même accru leurs approvisionnements en armes et en munitions grâce aux avantages qu’offre la relative accalmie de la Transition. Dans cette logique, le Programme national de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR) a du plomb dans l’aile. Il est caractérisé par une bureaucratie dont les résultats sur le terrain sont minimes, sinon négligeables. Par ailleurs, quelques foyers de tension entretenus par des mains invisibles pour des raisons inavouées persistent, notamment à l’Est du pays où l’on déplore la violence armée dont les victimes sont non seulement les combattants et les éléments de la MONUC mais surtout les populations civiles. Sur ce fond, à l’occasion de cette quarante-cinquième année de l’indépendance nationale, la population a absolument besoin d’être rassurée.

Psychose du 30 juin 2005

6. Nous déplorons le fait qu’au 30 juin 2005, les élections n’auront pas eu lieu. A l’approche de cette date historique, une controverse sur la durée de la Transition est alimentée au sein de la classe politique d’une part entre les principaux signataires de l’Accord global et inclusif et, d’autre part, avec les non signataires. Tous ne semblent plus s’accorder sur l’esprit et la lettre de l’article 196 de la Constitution de la Transition.
7. Dès lors, il se profile aujourd’hui à l’horizon du 30 juin 2005 le spectre d’une crise profonde au Congo. A notre avis, cette crise est provoquée par le choc de deux positions intransigeantes : celle de ceux et celles qui tiennent à une prolongation automatique de la Transition, sans bilan ni sanction, contre celle de ceux et celles qui exigent la fin de cette même Transition, au 30 juin 2005, tout en brandissant la menace de la violence et du chaos.

Raisons d’avoir peur

8. Face à cette surenchère, la population congolaise s’est exprimée à maintes reprises sur les limites de la formule actuelle (1+4) à la tête de l’Etat et sur le retard dans la mise en œuvre du processus électoral. Elle a notamment manifesté sa déception en juin 2004 à la suite des événements de Bukavu et en janvier 2005 après une interview donnée par la Commission Electorale Indépendante évoquant un report éventuel des élections. De la sorte, la population a donné un signal fort qui exprime son désaveu sur la manière dont la Transition est menée jusque-là. Aussi pensons-nous qu’il serait suicidaire de minimiser ce raz le bol qui n’a que trop duré.
9. L’absence d’une vision cohérente et d’une politique d’anticipation de la part des gouvernants a cristallisé la crise actuelle qui remet en cause non seulement l’Accord global et inclusif mais aussi les alliances nées de cet accord. Les frustrations ressenties par certains opérateurs politiques, le malaise social (non-paiement des fonctionnaires et des enseignants, de la solde des militaires, inaccessibilité aux soins médicaux, difficultés de transport, prise en charge des frais scolaires par les parents ….), le manque de confiance de la population envers les gouvernants, la corruption généralisée, le pillage et le bradage du patrimoine national (principalement dans les domaines forestier et minier), l’occupation pure et simple des portions du territoire national par des éléments étrangers, la culture de l’impunité dans les structures de l’Etat, ont fini par créer un malaise bien perceptible partout.
10. Pendant ce temps, l’insécurité refait surface à Kinshasa et ailleurs dans le pays. Les assassinats sont devenus fréquents et les violations des droits humains se perpètrent sans que les citoyens ne soient protégés. Tout porte à croire que le pays n’est pas gouverné. La visibilité de l’Etat est à peine perceptible.
11. L’état d’esprit qui prévaut actuellement au sein de la population est caractérisé par la peur de la violence armée et des infiltrations des troupes étrangères, des pillages et de l’insécurité. C’est la psychose du 30 juin 2005. Il est particulièrement troublant que certaines personnes mal intentionnées menacent les consacré(e)s et visent les biens de l’Eglise. Faut- croire qu’elles entendent la priver de ses infrastructures pour l’empêcher de rendre service à la population ? Nous rappelons également que, dans l’exercice de ses fonctions, le président de la CEI, quoique ecclésiastique, ne représente ni n’engage l’Eglise catholique. Que l’on évite d’entretenir tout amalgame à ce sujet.
12. Tout arrêt du processus de la Transition de quelque manière que ce soit retarderait l’espoir de l’organisation d’élections libres, justes et fiables dans le meilleur délai. C’est pourquoi, il est impérieux de poursuivre courageusement le processus en cours en redoublant d’efforts jusqu’à la tenue d’élections démocratiques et crédibles.13. C’est pourquoi, nous condamnons toutes les manœuvres de violence, d’où qu’elles viennent et appelons tout le monde à la retenue.

Nécessité du dialogue

14. L’ouverture des concertations en vue du dialogue entre les forces sociopolitiques significatives du pays devient impérieuse pour définir les conditions et les termes de référence de la période de prolongation de la Transition. Elles peuvent se tenir sous l’égide d’une structure nationale ad hoc. Cette structure pourrait travailler en collaboration avec le Comité International d’Appui à la Transition (CIAT). A l’issue de ces concertations sera mis en place un comité national multisectoriel de suivi du processus électoral, lequel sera chargé d’assurer le monitoring du processus et de jouer le rôle de médiation entre les institutions chargées de la question électorale et la population.

Recommandations

Des convergences

15. En tenant compte de tout le débat engagé au sein des forces sociales et politiques, il ressort des points sur lesquels les acteurs convergent : la nécessité des élections; la nécessité de fixer des priorités pour la période de prolongation grâce à des termes de référence et un chronogramme précis ; la nécessité d’insuffler une nouvelle dynamique au sein des institutions de Transition en ayant comme objectif prioritaire l’organisation des élections.Il ne serait pas normal que les situations déplorées avant le 30 juin 2005 se retrouvent telles quelles après le 30 juin 2005.

Cap sur les élections

16. Bien que les élections ne signifient pas l’éradication magique de la misère du peuple congolais, elles constituent néanmoins un pas important vers la démocratie et le développement. Dans les circonstances présentes, il est illusoire de prétendre réussir à bâtir la troisième république si on ne réussit pas déjà la période de Transition. Dans ce sens, en lieu et place de discours haineux et de violences, l’organisation d’une campagne de sensibilisation de la population est une urgence, pour expliquer les raisons de prolongation de la Transition et présenter les grandes lignes du calendrier électoral jusqu’à la tenue effective des élections. Cette campagne de sensibilisation doit être faite par le Gouvernement, la Commission Electorale Indépendante, les organisations de la Société civile et les partis politiques. Ceux-ci sont priés d’assurer à leurs partisans la formation civique et électorale [6]. Ils doivent, en plus, éviter à tout prix de financer leur campagne électorale avec les moyens de l’Etat, ou de recourir à la tricherie et à la manipulation de la population.
17. La publication d’un programme électoral avec un échéancier rigoureux se fera de manière consensuelle sous l’égide de la CEI, avec la participation des partis politiques, des organisations de la Société civile et de la Communauté internationale.
18. Le renforcement, par le Gouvernement, des mesures de sécurité est une urgence. Dans le respect de la loi, il est invité à mettre fin aux actes de violence, de criminalité et aux autres formes d’insécurité avant la tenue des élections.
19. Que la gestion responsable des ressources publiques soit décrétée pour privilégier l’organisation des élections et la résolution des questions sociales (éducation, santé). A cet égard, il est impérieux d’élaborer un programme social d’urgence pour atténuer la misère de notre peuple.
20. La poursuite et l’intensification du processus d’intégration de l’armée et de la police doivent permettre de garantir la sécurité des hommes et de leurs biens avant, pendant et après les opérations électorales. Le programme DDR doit également se poursuivre en veillant à impliquer suffisamment les acteurs non étatiques pour la prise en charge des ex-combattants dans leur milieu de réinsertion. A cet effet, nous pensons qu’il faut envisager la permutation des troupes à travers tout le territoire national, afin de les soustraire au commandement et à l’influence des ex-belligérants.
21. L’impératif de la réconciliation nationale constitue une autre urgence et une priorité en vue de garantir la réussite du processus électoral. Elle implique la fin effective de la guerre grâce à la maîtrise des groupes armés incontrôlés et la mise au pas des troupes dissidentes. Tant que les ex-belligérants et une partie des groupes armés incontrôlés ne renoncent pas à la guerre, la réconciliation ne sera pas possible et les élections seront compromises.
22. La Communauté internationale doit poursuivre son appui à la RDC et renforcer les capacités et la crédibilité de la MONUC pour garantir le bon déroulement des opérations électorales. Des pays voisins et leurs alliés, nous exigeons qu’ils cessent de perturber la paix
et la marche de la Transition en RDC. Aux puissants de ce monde, nous déclarons une fois de plus que l’intégrité territoriale et l’unité nationale de la RDC ne sont pas négociables.Du rôle spécifique de l’Eglise pendant la Transition.
23. Servante de la nation, l’Eglise intensifiera la formation de la conscience et sa campagne d’éducation civique et électorale pour poursuivre la préparation du peuple aux prochaines échéances électorales. Nous continuerons à enseigner aux fidèles les vertus à acquérir pour une bonne gestion de la république et, plus que jamais, à exercer l’œuvre de charité du Christ, surtout auprès des plus pauvres. Nous nous opposons à toute forme de violence et nous nous engageons à prier, à jeûner et à travailler pour la paix. Nous lancerons un programme national de non-violence et de réconciliation. Nous réitérons notre appel au dialogue positif, au calme, à la paix et à l’apaisement des esprits chez tous les Congolais et Congolaises

Conclusion

24. Face à toutes ces peurs, le Seigneur nous dit : « Si Yahvé ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs ; si Yahvé ne garde la ville, en vain la garde veille » [Ps 127 (126)] ou encore : « Relevez-vous ! Soyez sans crainte » (Mt 17, 7). Car, en effet, l’avenir du Congo dépend de son peuple.
25. Nous confions notre pays et son avenir à la protection de Dieu, Maître de l’histoire qui n’abandonne jamais son peuple. Que par l’intercession de la Vierge Marie Dieu bénisse notre pays.


(Agence Fides, 23 juin 2005)


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