VATICAN - LES PAROLES DE LA DOCTRINE par l’Abbé Nicola Bux et l’abbé Salvatore Vitiello.- La prière pour les Juifs : « Une tentative totalement dans les mains de Dieu »

jeudi, 26 juillet 2007

Rome (Agence Fides) - Plusieurs cercles juifs et des organes de presse ont réagi vivement à l’occasion de la promulgation du « Motu proprio » de Benoît XVI sur la Messe ancienne, en appréhendant la réintroduction de la prière pour les Juifs, celle dont le Pape Jean XXIII avait enlevé l’adjectif « perfidis ».
Certainement, peu de gens savent que les Oraisons solennelles du Vendredi Saint ont une correspondance dans la « birkat ha-minim » (bénédiction contre les hérétiques) de la liturgie juive, qui est la suivante : « Qu’il n’y ait pas d’espérance pour les apostats ; déracine rapidement de nos jours le royaume de l’orgueil ; et périssent en un instant les nazaréniens (ndr : les judéo-chrétiens) et les hérétiques : qu’ils soient effacés du livre des vivants, et qu’ils ne soient pas inscrits avec les justes. Béni sois-tu Yahvé qui plie les orgueilleux ».
C’est ce que récite la XII° bénédiction de la liturgie de la synagogue dans la forme primitive. Dans le Talmud babylonien plus répandu aujourd’hui, on trouve ceci : « Afin qu’il n’y ait pas d’espérance pour les calomniateurs et les hérétiques, et que tous périssent en un instant ; que tous Tes ennemis soient détruits en un instant, et Toi, humilie-les rapidement de nos jours. Bénis es-tu Seigneur, qui brise les ennemis et humilie les orgueilleux ».
L’Oraison du Vendredi Saint dans sa version de 1962, déclare : « Nous prions aussi pour les Juifs, afin que le Seigneur notre Dieu enlève le voile de leur coeur, de manière à ce que, eux aussi, ils reconnaissent avec nous Jésus-Christ Notre Seigneur. Prions : O Dieu tout puissant et éternel, ne rejette pas non plus les Juifs de ta miséricorde, exauce les prières que nous t’adressons pour ce peuple aveuglé, afin qu’il admette que le Christ est la lumière de ta vérité, et sorte ainsi des ténèbres ».
La version du Missel de 1970 a été ainsi modifiée : « Prions pour les Juifs : que le Seigneur notre Dieu qui les a choisis comme premiers parmi tous les peuples pour accueillir sa Parole, les aide à progresser toujours dans l’amour de son Nom et dans la fidélité à son Alliance ». (¨Prière en silence) : « Dieu tout puissant et éternel, qui a fais tes promesses à Abraham et à sa descendance, écoute avec bienveillance la prière de ton Eglise, pour que le peuple aîné de ton Alliance, puisse parvenir à la plénitude de ta Rédemption ».
En comparant les formules, on note que la formule juive se sert des invectives propres à certains psaumes et textes prophétiques (par exemple le psaume 58), qui ne sont pas étrangères non plus au Nouveau Testament. La formule chrétienne de l’ancien Missel rappelle l’invitation de Saint Paul à la communauté chrétienne à prier pour tous les hommes (cf 1 Timothée 2, 1), puis pour les Juifs, et lui rappelle le caractère irrévocable de l’élection divine d’Israël (cf Romains 11, 25-26). D’après De Clerck, cette prière pourrait être « d’une grande antiquité des ‘orationes sollemnes’, ou pourrait remonter à une période où les Juifs étaient nombreux à Rome. Quand à l’oraison du nouveau Missel, le thème est le peuple d’Abraham, dépositaire des promesses divines « irrévocables », et appelé de toute façon « à la plénitude de la rédemption ». Cela a toujours été la conscience de l’Eglise qui, dans l’oraison, demande à Dieu de hâter la réalisation de cette promesse.
Ce n’est donc pas le cas pour nos ‘frères aînés’ de continuer à se scandaliser de la prière que les chrétiens élèvent à Dieu pour eux, quand ils devraient veiller à modifier leur prière, étant donné que, dans la première fore, et dans celle du Talmud Babylonien, la malédiction de Dieu n’a été enlevée, qui ne se concilier pas avec son amour universel.

UN PEU D’HISTOIRE

En réalité, la querelle cesserait si l’on se plaçait dans le rapport entre liturgie chrétienne et liturgie juive, dont l’oraison de louange et d’intercession a aussi son origine, comme le rappelle le Catéchisme de l’Eglise Catholique (1096). En effet, le correspondant juif de l’Oratio Fidelium - mais aussi de l’anaphore d’après certains spécialistes comme Adrien Nocent - est la prière «Semonèth Esréh » (la Tefilah de la 18° bénédiction). C’est bien connu, le christianisme des origines, et donc la liturgie, s’est mise dans un lien de continuité et en même temps de nouveauté par rapport au judaïsme. Les nazaréens ou chrétiens avaient fréquenté le Temple (cf Actes 2, 46), mais aussi les synagogues, jusqu’à ce que, deux décennies après sa destruction en 70, les Juifs n’introduisent dans la Tefilah, la XII° « bénédiction », précisément la « birkat ha-minim » (elles devinrent ainsi au nombre de 19, mais le nom de Shemonèh Esréh ne fut pas changé), c’est-à-dire une malédiction contre la secte considérée comme hérétique, des judéo-chrétiens (cf Actes 24, 14), soit pour les tenir loin de la synagogue, soit pour proclamer formellement la rupture définitive entre les deux religions.
A côté des « minim » (dissidents), on mentionnait les nozrim, les nazaréens c’est-à-dire les disciples de Jésus de Nazareth, pour qu’ils « disparaissent aussitôt, effacés du livre de la vie et sans être inscrits avec les justes. Beni sois-tu qui humilies les superbes » ( cf G. De Rosa, Gesù di Nazareth e l’Ebraismo di ieri e oggi. Dal rifiuto all’approbazione esclusiva. “La Civiltà Cattolica”, 15 (2000), n° 12). Dans cette même période, on prescrivit en effet l’excommunication contre les judéo-chrétiens, qui, tout en prétendant demeurer dans la synagogue, la divisaient par leur foi, protégeaient les “païens », les romains surtout, et détruisaient le principe dogmatique de « habdàlàh », c’est-à-dire la séparation entre circoncis et non circoncis (cf H. Herts, Daily Prayer Book with commentary. Introductions and notes, New York 1971, p.142). C’est ce que pensait Maimonide au Moyen Age, et, de nos jours, le rabbin américain J. Petuchowski (cf S. Ben Chorin, Il giudaismo in preghiera . La liturgia della sinagoga, Cinisello B. 1988, p. 80). Toutefois, tous les juifs ne mentionnent pas aujourd’hui les nazaréens et les dissidents, mais se limitent aux calomniateurs, aux méchants et aux ennemis.
Quant aux Oraisons solennelles du Vendredi Saint, et à la Prière Universelle ou des Fidèles de la Messe, elles se rattachent à la tradition apostolique de prier pour tous : en particulier pour qu’ils passent une vie calme et tranquille en toute piété et dignité, comme étant une « chose belle et agréable au yeux de Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à la connaissance de la vérité » (1 Timothée 2, 1-3). Des traces de cette prière se retrouvent chez Clément de Rome, Polycarpe de Smyrne, Justin, Tertullien et Cyprien, qui soulignent la demande à Dieu de parvenir à la connaissance de la vérité et au salut éternel. Prosper d’Aquitaine (390-455) auteur du célèbre « ut legem credendi lex statuat supplicandi » s’y référera avec le plus d’évidence. L’auteur ne voulait pas instituer un automatisme, comme si de la prière devait dériver la norme de la foi, mais dire que devient norme de foi cette prière liée avec la doctrine catholique qui s’est terminée avec la mort du dernier Apôtre. En un certain sens, la liturgie doit exprimer la foi catholique et apostolique, ainsi que l’unité et la sainteté de l’Eglise.
Toutefois, la description la plus ancienne des « Orationes Sollemnes » se trouve dans les « Capitula, un document joint à la Lettre du Pape Célestin I° aux Evêques de Gaule, écrit entre 435-442. En particulier, dans la prière « pro Judaeis », il déclare : « Ut Judaeis, ablato cordis velamine, lux veritatis appareat ». la phrase rappelle avec évidence d’une part Saint Paul (2 Cor 3, 12-16), et d’autre part l’oraison que, par Léon le Grand et les livres liturgiques romains du haut Moyen Age connus comme « Ordines », arrive à la forme du Missel Romain de 1962. Et donc, les sources liturgiques qui nous transmettent les « Orationes sollemnes » remontent aux traditions gélasienne, grégorienne et franque, codifiées dans les Sacramentaires et dans les « Ordines Romani ».
L’Oratio pro conversione Judaeorum, la sixième des Oraisons solennelles, dans le Missel de 1970, porte le simple titre « Pro Judaeis ». L’expression « perfidis » a été enlevée, même si elle voulait tout simplement dire « incrédules, mieux en un certain sens que la formule du « minim », les dissidents des la « birkat » juive. Pour l’analyse et la traduction de l’expression, approuvée déjà en 1948 par la Congrégation des rites, nous renvoyons aux études existantes ; mais en 1936 déjà, le grand exégète protestant devenu catholique, Eric Peterson, avait publié une étude dans laquelle il montrait que l’épithète voulait dire « parjure », en ce sens que les Juifs avaient fait un pacte avec Jahvé, parce qu’ils n’avaient pas respecté. Cette signification, appliquées aux païens également, se trouve dans plusieurs oeuvres de Cyprien et d’Ambroise. Saint Augustin, se référant à la justice de la foi en Saint Paul, la traduit par injustice et manque de foi. On trouve aussi dans la même ligne Gélase et Grégoire le Grand.
A ce point, on peut déduire que la « Oratio pro Judaeis » semble en un certain sens spéculer sur la « birkat ha-minim « juive, la malédiction contre les hérétiques ; presque comme une « réponse », parce que le donné liturgique n’est jamais abstrait, et que tous deux remontent à la même époque, comme nous l’avons vu. A l’excommunication prononcée contre les judéo-chrétiens, et à l’accusation « d’hérésie » de la part des Juifs,- peut-être durant le synode de Jabne entre 90 et 10 après Jésus-Christ - qui voulaient de cette manière marquer la rupture définitive du Judaïsme officiel avec les chrétiens, ces derniers auraient « répondu » par l’insertion de la « prière pour les Juifs ». Au-delà de toute polémique, « il est raisonnable de retenir que l’histoire des deux prières, dont le contenu était certainement connu des juifs et des chrétiens à la fin du I° siècle, se soit mêlée, donnant ainsi forme au texte liturgique comme il nous est parvenu, sauf, évidemment, les modifications inévitables que connaissent en général les textes liturgiques au cours des siècles » (Annariova Abrusci, Storia ed evoluzione delle Orazioni sollenni. Il caso della Preghiera Pro Judaeis, thèse de doctorat à l’ISSR de Bari, 200-2001, p 111-112 pro manuscritto). Cela montre une fois encore l’influence de la liturgie juive sur la liturgie chrétienne. La prière ne peut être modifiée en contradiction avec la doctrine catholique et apostolique. Nous prierons donc aujourd’hui volontiers également avec les nouvelles formules du Missel Romain de Paul VI, où l’on demande au Seigneur que « le peuple aîné de ton alliance puisse parvenir à la plénitude de la rédemption ».

L’EGLISE PRIE POUR LA CONVERSION DE TOUS LES HOMMES


12. En possession d'une telle espérance, nous nous comportons avec beaucoup d'assurance,
13. et non comme Moïse, qui mettait un voile sur son visage pour empêcher les fils d'Israël de voir la fin de ce qui est passager...
14. Mais leur entendement s'est obscurci. Jusqu'à ce jour en effet, lorsqu'on lit l'Ancien Testament, ce même voile demeure. Il n'est point retiré ; car c'est le Christ qui le fait disparaître.
15. Oui, jusqu'à ce jour, toutes les fois qu'on lit Moïse, un voile est posé sur leur cœur.
16. C'est quand on se convertit au Seigneur que le voile est enlevé.
(2 Corinthiens 3, 12-16

Ce texte de saint Paul est de façon notoire la source de l’oraison pour les Juifs jusqu’au Missel de 1962. Aujourd’hui, de nombreux catholiques ont peur de la conversion, et les Juifs aussi, qui voudraient que l’Eglise Catholique ne soit pas elle-même, du moins à leur égard. A présent, la conversion est l’essence de l’Evangile de Jésus, et a indiqué le chemin vers Lui des peuples et des nations (cf les études de E. Peterson sur l’interprétation de Romains 9-11, et la signification de la conversion). En faisant la vérité dans la charité et dans le respect de la liberté, l’Eglise a comme priorité l’annonce de l’Evangile qui est la vérité pleine et définitive sur l’homme et à laquelle l’homme est appelé à se convertir. C’est le Christ qui l’a déclaré : « Les temps sont accomplis… convertissez-vous et croyez à l’évangile » (Marc 1, 15), et non pas « dialoguez et mettez-vous d’accord » Saint Pierre a décrit la conversion comme un parcours irréversible : à partir de la parole des prophètes, lampe qui brille dans un lieu obscur jusqu’au lever de l’étoile du matin (cf 2 Pierre 1,19), les Mages avaient cherché la vérité à la suite de l’étoile, jusqu’au moment où ils trouvèrent la vraie lumière (cf Mathieu, 2, 2) ; saint Paul, après être allé à tâtons comme dans un lieu obscur (cf Actes 17, 27) jusqu’à être investi par le Christ vérité incarnée, et jusqu’à se convertir à Lui.
L’Eglise, comme l’a déclaré le Concile, est sacrement aussi par rapport aux religions, c’est-à-dire qu’elle n’est pas seulement signe mais instrument de salut pour tous. On comprend ainsi que le christianisme soit une religion universelle qui fait connaître le vrai Dieu d’Israël (cf Jean Paul II : « Varcare la soglia della speranza, Milano, 1994, p. 112).
Le thème du salut en Jésus-Christ , salut nécessaire pour tout homme, a été réaffirmé dans la Déclaration « Dominus Jesus ». Le dialogue avec les Juifs naît de la « conscience du don du salut unique et universel offert par le Père par Jésus-Christ dans l’Esprit » (n° 13). En montrant précisément dans le Christ l’accomplissement du Judaïsme, l’Eglise est arrivée à aborder le monde païen « qui aspirait au salut par une pluralité de dieux sauveurs » (Ibid.)
Le dialogue fait partie intégrante de la conscience missionnaire de l’Eglise ; fondé sur la conscience de la dignité égale de tous les hommes, à quelque religion qu’ils appartiennent, et dans le même temps sur la primauté de Jésus et de sa doctrine « en confrontation avec les fondateurs des autres religions » (Dominus Jesus, n° 22).
L’Eglise propose le Royaume de Dieu somme Seigneurie universelle de Jésus-Christ (cf J. Ratzinger - Benoît XVI, « Gesù di Nazaret », Città del Vaticano 2007, chap III) ; Benoît XVI cite dans son ouvrage le rabbin érudit Jacob Neusner qui, dans un essai de 1993 avait mis en relief toute la différence entre la Torah et Jésus. Si et quand tous les hommes entreront dans la Nouvelle Alliance de l’Eglise, y compris les Juifs, c’est une question à laisser au Saint-Esprit (cf « Varcare… p.112). La prière pour les Juifs exprime la conviction que la rencontre et le dialogue est une « tentative qui est entièrement dans les mains de Dieu » (Gesù di Nazaret, p.248), avec un message : « Alors ils n’abandonneront pas leur obéissance - (à la Torah qui permet de voir Dieu « de dos », ibid, p. 310-311) - mais elle viendra de sources plus profondes , et sera plus grande pour cette raison, plus sincère et plus pure, mais surtout, plus humble aussi (ibid. p. 249)
On comprend mieux ainsi les demandes de pardon et le geste de Jean Paul II au « Mur des Lamentations », et, auparavant même, l’intervention du Cardinal Joseph Ratzinger lors de la Conférence Internationale judéo-chrétienne de Jérusalem en 1994, où il développa le thème de la réconciliation, essence de deux fois, en rappelant que la sang versé par le Christ ne criait pas vengeance, mais au contraire réconciliation. Aucune intention, du côté catholique, donc, d’enflammer l’anti-judaïsme - et espérons du côté juif pas non plus d’antichristianisme - mais connaissance et respect réciproque, y compris des expressions des différentes fois, en priant les uns pour les autres.
(Agence Fides, 26 juillet 2007)


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